Interview : Yves BILLAUD, le chercheur qui rend visibles les invisibles Palafittes

Yves Billaud, ingénieur de recherche et responsable du suivi des Palafittes Unesco, plonge actuellement dans les eaux à 6°C du Léman (pour la science). Il participe en effet à des recherches menées sur le site de Tougues, à Chens-sur-Léman, daté de l’âge de Bronze.

Site palaffitique de Tougues

Pouvez-vous présenter en quelques mots les institutions pour lesquelles vous travaillez, et l’objet de votre travail ?

Je suis ingénieur de recherche au sein d’un service du Ministère de la Culture spécialisé dans l’archéologie des milieux noyés, le DRASSM (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines). Ce service gère l’archéologie du domaine public maritime et a un rôle d’expertise et de conseils pour les eaux douces.

Vous menez depuis mi-mars des recherches sur le site de Tougues, à Chens-sur-Léman. Pouvez-vous nous éclairer sur ce que sont les palafittes, et nous dire quelle est la spécificité de ce site ?

Repéré depuis le début du XIXe siècle, notamment en raison des nombreux pieux dépassant du fond du lac, le site de Tougues est l’exemple d’une station palafittique, ce que l’on appelait auparavant une “cité lacustre” et que l’on interprète maintenant comme un habitat installé sur le rivage à l’occasion de baisses du niveau de l’eau. Le site de Tougues est daté du Bronze final avec une occupation d’au moins 1071 à 859 avant notre ère. En 1987, une importante opération archéologique a montré que Tougues est l’un des sites les mieux conservés du lac Léman. Des couches archéologiques sont encore présentes et un sondage restreint a livré un important lot de céramiques ainsi que des objets en matière périssable, comme de la vannerie ou encore un des rares exemples de roue en bois.

Des premières recherches y ont été menées il y a plus de 20 ans, pourquoi y revenez-vous aujourd’hui ?

En 2011, l’Unesco a inscrit au patrimoine mondial de l’humanité un ensemble de 111 sites lacustres de l’arc alpin répartis dans six pays. Parmi ces sites, 9 sont dans les lacs de Savoie et de Haute-Savoie, dont celui de Tougues pour le lac Léman.

L’inscription implique pour chacun des pays de veiller à la conservation de ces sites et de mettre en œuvre les moyens nécessaires à cette conservation, protection juridique comme physique. À ce titre, le site a été balisé pour en interdire l’accès et actuellement nous intervenons pour en dresser un bilan sanitaire et mettre en place des repères permettant un suivi du couvert sédimentaire dépôts qui s’accumulent progressivement dans le lac). Cette démarche est également appliquée à six autres stations comprises dans la “zone tampon” qui encadre le site de Tougues, du débouché de la Vorze  à la frontière suisse.

Que nous apprennent les sites palafittiques sur l’Homme ?

Les stations palafittiques, pour la plupart désormais immergés, ont permis la conservation de matériaux périssables, à la différence des sites terrestres. C’est pourquoi elles nous apportent des informations originales sur les modes de vie des premiers agriculteurs du Néolithique et artisans de l’âge du Bronze. D’autre part, ils sont de véritables marqueurs de modifications climatiques, questions d’une totale actualité.

Aurez-vous quelques résultats de ces recherches à présenter lors de votre conférence du 30 mai ?

Bien entendu : ma présentation vise à replacer l’inscription Unesco dans la longue histoire, de plus d’un siècle et demi, de la recherche archéologique lacustre dans les lacs de Savoie et de Haute-Savoie. Depuis les premières « pêches » aux antiquités au début du XIXe siècle, jusqu’aux travaux précurseurs menés dans les années 1930 sur le littoral lémanique etenfin la labellisation par l’Unesco, les pratiques ont beaucoup évolué !

Il s’agira ensuite d’essayer de “rendre visible l’invisible” en présentant les résultats obtenus il y a déjà deux décennies sur la station de Tougues, et surtout ces dernières années sur le lac du Bourget. Les premières interprétations qui en sont faites permettent d’approcher les modes de vie de ces populations riveraines d’il y a plus de 3000 ans.

A vos agendas : Yves BILLAUD donnera une conférence sur les recherches menées sur les Palaffites le mercredi 30 mai 2018, à 18h30 à l’auditorium du collège de Margencel.